Prier les fenêtres grandes ouvertes en temps de pandémie

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Par Yves Guérette – 1er avril 2021

Si l’expérience de confinement est vécue difficilement, voire bien péniblement par le plus grand nombre de personnes, elle peut aussi offrir, surprenamment, l’opportunité de rentrer dans notre véritable « chez soi » et conduire à une véritable expérience spirituelle.


Depuis le début de la pandémie de Covid-19, de multiples constats, quantité d’analyses et d’innombrables propos ont déjà été partagés afin de tenter de mesurer les impacts inimaginés de cette profonde commotion à l’échelle planétaire. Nous savons d’ores et déjà qu’il faudra longuement et patiemment panser les plaies et les souffrances éprouvées en raison de tous les impacts sociaux engendrés par le virus. Depuis le printemps 2020, la population québécoise se fait solidaire des consignes sévères de confinement et d’isolement dictées par son gouvernement. Confinés chacun chez soi, nous avons été contraints, durant de longues périodes, à demeure. Cette expérience collective s’est avérée aride, brutale et déroutante puisqu’elle a engendré une radicale fracture avec nos habitudes les plus familières pour vivre nos relations d’amitié et l’ensemble de nos rapports humains ainsi que pour participer à la vie culturelle, éducative, économique, religieuse, etc. 
 

Rentrer chez soi et ouvrir les fenêtres de l’intérieur

C’est par ses cinq sens que l’être humain, depuis le premier instant de sa naissance et même bien avant celle-ci, entre en contact avec son environnement extérieur. La vue, l’odorat, le toucher, l’audition et le goût sont autant de « fenêtres » qui lui donnent accès au monde. Toutefois, ces cinq sens peuvent aussi offrir la possibilité d’un voyage beaucoup plus mystérieux : celui du passage du monde extérieur vers l’habitation de notre univers intérieur, possiblement notre plus essentielle demeure. C’est dans ce mouvement de l’extériorité vers l’intériorité que l’expérience spirituelle s’offre et s’éveille en chacun et en chacune de nous. Si chacun de nos cinq sens permet d’éprouver différentes sensations, celles-ci éveillent dans leur sillage ce que l’on nomme la sensibilité humaine. Cette sensibilité à notre environnement, à nous-mêmes, aux autres et possiblement à l’Ultime s’exprime tantôt par la compassion, à d’autres occasions par la reconnaissance, par l’empathie, l’amour ou l’amitié. La sensibilité est révélation de la sacralité de la relation. Elle est composante essentielle de toute expérience spirituelle : les cinq sens engendrent les sensations et celles-ci éveillent la sensibilité : de l’extérieur à l’intérieur.
 

L’autre regard

Lorsque le regard de l’humain se tourne vers l’intérieur, celui-ci arrive alors à « voir » les objets, les événements et les personnes avec un « second regard », intimiste celui-là. Il lui est alors possible de percevoir une part de l’invisible qui l’environne et dans lequel il est pourtant imprégné sans parfois trop le soupçonner. Seul ce « regard intérieur » est à même de scruter et de contempler l’univers au-delà de ses apparences. Ce regard « voit » les battements de cœur, il perçoit et observe les émotions, il fréquente le mystère. Ce regard naît habituellement d’un silence. Il permet d’apercevoir une part de l’au-delà des choses, des événements et des personnes. Par ce regard qui nécessite « cette autre paire d’yeux », c’est toute la demeure intérieure de l’humain qui se pare alors des paysages du monde et de l’humanité. Rentrer chez soi… et « voir » avec profondeur l’univers qui frappe à notre porte afin d’y trouver une demeure où se déposer et être accueilli. Expérience spirituelle.
 

L’autre senti

Lorsque l’être humain arrive à « sentir » les choses, les situations et les autres vivants à partir du lieu de son intériorité, c’est tout l’univers qui lentement s’exhale au-dedans de lui. Le « senti intérieur » perçoit des arômes, des parfums et des effluves d’une autre nature : ceux d’une humanité d’où émane l’odeur suave des élans de vie, de libération, d’offrande et d’amour universel. Ce « senti intérieur » engendre une communion nouvelle avec une humanité blessée qui ploie sous le poids de fardeaux inimaginables et compassion envers une humanité en travail de naissance, de mise au monde, de quête de matins nouveaux. Par cette manière intérieure de sentir, c’est la demeure intérieure qui devient alors odoriférante du monde et de l’humanité. Rentrer chez soi… et « sentir » avec profondeur l’univers qui frappe à notre porte afin d’y trouver une demeure où se déposer et être accueilli. Expérience spirituelle.
 

L’autre touché

Lorsque l’être humain arrive à « toucher » la matière, les expériences et êtres vivants en posant sur eux une délicate et respectueuse « main intérieure », il effleure alors la beauté vulnérable et fragile du vivant. Cette manière de toucher tout intérieure est caresse respectueuse, baiser révérencieux et étreinte gracieuse du mystère, du vivant et de l’au-delà. Cette manière de toucher et de se laisser toucher, comme par le senti d’une délicate brise intime, donne accès ce qui transcende le temps et qui appartient à l’éternité. L’infini et une part de l’inaltérable se dévoilent alors au-delà de la première apparence de la matière, des expériences et des êtres vivants. La demeure intérieure se découvre habitée, touchée par le monde et par l’humanité tout entière. Rentrer chez soi… toucher et se laisser toucher intimement par l’univers qui frappe à notre porte afin d’y trouver une demeure où se déposer et être accueilli. Expérience spirituelle.
 

L’autre écoute

Lorsque l’être humain arrive à « entendre » la nature, les situations et les personnes avec une seconde oreille, intérieure celle-là, c’est tout l’univers qui commence alors à murmurer, à parler et à chanter en lui. L’« écoute intérieure » entend alors des soifs, des rêves et des aspirations qu’il est difficile, voire parfois impossible, d’exprimer par des paroles ou dans des attitudes. Écoute d’une autre langue, d’un autre langage, subtil celui-là, communionnel. Notre demeure intérieure est alors délicate résonnance du monde et de l’humanité. Rentrer chez soi… et alors entendre l’univers qui frappe à notre porte afin d’y trouver une demeure. Expérience spirituelle.
 

L’autre saveur

Lorsque l’on arrive à « goûter » l’environnement, les événements et les personnes en savourant leur noblesse, leur douleur et leur immensité sans mesure, l’on découvre alors que la véritable nourriture qui, seule, peut vraiment rassasier nos faims les plus profondes est Beauté fragile et délicate. Le « goûter intérieur » est dégustation des saveurs qui éveillent l’âme. Notre demeure intérieure devient dès lors table ou banquet d’un tout autre type où sont conviés le monde et l’humanité. Rentrer chez soi… et alors goûter l’univers qui frappe à notre porte afin d’y trouver une demeure où se déposer et être accueilli. Expérience spirituelle.

Nos cinq sens sont donc autant de fenêtres ou de chemins qui nous permettent de laisser s’éveiller ce « sixième sens », tout intérieur celui-là : celui de la sensibilité la plus délicate au souffle du vivant en nous. Ce sixième sens rallie les cinq premiers afin de voir, de sentir, de toucher, d’entendre et de goûter l’ouverture à notre relation avec le monde, les autres, soi-même et éventuellement ce que certaines personnes nomment le divin : expérience spirituelle. 
 

Prier : tu n’es plus seul, tu n’es plus seule

Au brutal et aride isolement du confinement imposé en temps de pandémie, au temps du vieillissement qui dépossède, au temps de la souffrance de l’âme qui peine, au temps de la déroute ou de la perdition parfois ressentie, la prière se présente comme une visitation mystérieuse et intérieure d’hommes, de femmes, de jeunes, voire de Dieu qui trouvent demeure, repos et accueil dans notre Jardin d’Éden intérieur. Emprunter le chemin des sens de l’intérieur, rouvrir leurs fenêtres que l’on a peut-être pu négliger un certain temps et rentrer enfin à la maison, chez soi. Faire alors l’expérience de « voir » l’invisible au-delà du visible. Se découvrir alors chaleureusement habité. Prier : « voir » les paroles de tous ces bien-aimés qui murmurent au-dedans de nous : tu n’es plus seul, tu n’es plus seule.

À la violente et cruelle réclusion en temps d’isolement, au temps de la difficulté de croire en soi, au temps de la peur et du repliement, au temps de l’effondrement, la prière fait du cœur humain l’auberge de l’accueil de l’autre et éventuellement du Tout Autre. Elle a l’odeur suave d’un dialogue nouveau avec chacun de ces visages qui s’éveillent et s’illuminent en nous. Faire alors l’expérience de « sentir » l’humanité vivante, souffrante, combattante, priante. Se découvrir alors chaleureusement habité. Prier : « sentir » le souffle de tous ces bien-aimés qui murmurent au-dedans de nous : tu n’es plus seul, tu n’es plus seule.

À la solitude de la traversée des déserts de la soif, au temps du délaissement des élans de vie, au temps de l’exil de son quotidien et de ses capacités, au temps de la quarantaine forcée, la prière est expérience de séduction délicate et généreuse qui permet de toucher et de se laisser toucher par l’autre et parfois le Tout Autre. La prière est à l’occasion rupture de la sécheresse, ondée délicate sur une terre en attente d’être vivifiée. Elle est éclosion d’éveils. Se découvrir alors chaleureusement habité. Prier : « toucher et se laisser toucher » par tous ces bien-aimés qui murmurent au-dedans de nous : tu n’es plus seul, tu n’es plus seule.

À l’éloignement de soi-même et des autres, au temps de l’abandon et de la chute, au temps de la claustration sur soi et privé de la lumière du matin, au temps des retranchements de la fatigue, de l’épuisement, du « à bout de… », la prière est brèche intérieure qui permet d’écouter la source de vie en soi-même, en l’autre et en l’Autre. Pour plusieurs, elle est interstices qui brisent les murs de la honte, de la crainte ou des prisons intérieures. Elle permet d’entendre la vie qui sourd de l’intérieur, celle des autres et celle de l’Autre. Se découvrir alors chaleureusement habité. Prier : « écouter » tous ces bien-aimés qui murmurent au-dedans de nous : tu n’es plus seul, tu n’es plus seule.

Mais aussi, à la communion et à la contemplation, au temps de l’action de grâce et de la douce paix intérieure, au temps des yeux mouillés d’attendrissement, au temps des fauteuils berçants de souvenirs réconfortants, au temps du « j’ai une belle vie » ou encore du « j’ai eu une belle vie », la prière est présence au présent. Elle permet de goûter le ciel. Qu’ils soient toujours vivants ou encore partis vers un ailleurs que l’on espère deviner, la prière est visitation de l’Humanité et du divin, porte ouverte du cœur. Elle est, pour certains, présence à celui qui est plus présent que nous pouvons l’être pour nous-mêmes. Faire l’expérience de se savoir habité. Prier : « goûter » avec délice la présence mystérieuse de tous ces bien-aimés qui murmurent au-dedans de nous : tu ne seras jamais seul puisque je t’aime et que tu m’aimes.
 
Qu’est-ce que prier? Difficile à dire sans abîmer la prière elle-même. Beaucoup en parler, c’est parfois risquer de l’enfermer derrière des idées et des concepts. Discourir sur la prière conduit parfois à la réduire à des modèles ou encore à sa caricature. Or, la prière n’est peut-être pas seulement de nous. Elle naît du dialogue amoureux avec tous ces humains qui s’arrêtent à l’auberge de la délicate sensibilité amoureuse. Elle naît, pour ceux qui y sont sensibles, du dialogue amoureux avec l’Ultime. Expérience spirituelle : se savoir en relation, vivant, aimé. Expérience spirituelle : prier pour vivre, pour approfondir et pour habiter la beauté innommable de ces relations qui permettent d’exister de plus en plus pleinement.

Alors que nous sommes encore contraints de demeurer chacun chez soi, pour autant que faire se peut, afin de solidairement traverser cette période difficile de pandémie, ne s’agirait-il pas d’un moment formidable pour réapprendre à « rentrer à la maison », à habiter toujours plus noblement et intimement notre propre demeure intérieure, là où nous sommes attendus? Et si prier c’était aussi se laisser s’exprimer en nous tous les dialogues amoureux d’un cœur visité? Heureuse prière dans l’invisible qui permet de redécouvrir de manière toute différente l’univers visible! 
 



Yves Guérette est prêtre pour le diocèse de Québec et professeur en éducation de la foi et en théologie pratique à la faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, à Québec. 


Commentaires



 

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7 juin 2021

Bonjour Yves,
Merci pour ce beau texte, rempli de sensibilité et de créativité. J'ai particulièrement aimé la fin autour de la prière.

Amicalement

Daniel

Par Daniel Levasseur

Dernière révision du contenu : le 31 mars 2021

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